lundi 30 septembre 2013

Voir du pays, Delphine Coulin




Tu n'es pas du genre à te retourner spontanément sur les filles de Voir du pays. Deux soldates de retour d'Afghanistan, voilà qui manque sérieusement de sex-appeal. Fi, Delphine Coulin mérite qu'on s'attarde sur son roman. Parce qu'elle ose s'aventurer hors des sentiers battus. Parce que son regard est pénétrant et sa plume affûtée. Et parce qu'elle pose les bonnes questions.

C'est parti pour trois jours à Chypre. Ne t'y trompe pas, l'hôtel de rêve, dans le jargon militaire, c'est ce qui s'appelle un "sas de décompression": une étape jugée nécessaire pour se réhabiliter au quotidien. Des vacances pour service rendu, le lâcher prise, tu oublies. Ce serait trop cruel, elles n'y survivraient pas. 

Tu accompagnes donc Aurore et Marine dans cette dernière mission. Ensemble, elles en ont traversé des épreuves, sans compter que depuis le lycée, elles ne se sont plus quittées. L'une a suivi l'autre dans son engagement, a appris à ses côtés la peur, l'humiliation, la violence. Tout avait alors un sens. Là, tu perçois comme une tension entre elles, comme si elles ne se reconnaissaient plus. Comme si leur amitié aussi était en jeu. 

Toi non plus, tu ne peux baisser la garde. Même sans ennemi, la menace court toujours. Tu l'entends gronder de plus en plus fort. Elle te crispe, elle te rend fébrile. Tu t'accroches, car tu es déjà propulsé sur cette route qui va te mener jusqu'au bout de l'enfer. Oui, l'homme peut être un chien ou un loup. Mais c'est bien en monstre qu'il révèle sa véritable nature.

Voir du pays, de Delphine Coulin, est publié chez Grasset.


jeudi 26 septembre 2013

180 jours, Isabelle Sorente



Un titre comme un compte à rebours, un roman qui fait l'effet d'une bombe. C'est 180 jours, d'Isabelle Sorente. Ou comment un philosophe met les pieds dans le plat pour les besoins d'un séminaire sur la condition animale et se trouve pris au piège de son propre entendement.

Ombres. Son élevage industriel. Ses couloirs, la poussière qui tournoie sous les néons, ses parcs aveugles à perte de vue. Ca chante. Ca  schlingue. Ca grouille. Et maintenant Martin, au milieu de ces 15 000 porcs qui savent se mettre au garde-à-vous. Le spectacle est saisissant. Ils le dévorent des yeux. Et ça commence à coller à la peau.

Camélia. La rencontre est décisive. Il réveille Martin, l'arme de sa violence enfouie, lui que le silence rendait déjà un peu sauvage. Désormais il est prêt à tout voir, à comprendre et surtout, à aider son ami. Car cette acuité qu'il a développé, cette vie empêtrée corps et âme, Camélia n'en peut plus. Ca lui prend aux tripes, ça lui piétine le coeur. Il peut y laisser sa peau.

180 jours, c'est peu, c'est naître (n'être) pour mourir déjà. Pour certains, c'est un long et essentiel combat. De cette expérience anxiogène et oppressante, de ce livre dense et percutant, tu en sors juste époustouflé. Avec le bon sentiment que ton regard sur le monde s'est affûté.

180 jours, d'Isabelle Sorente, est publié chez JC Lattès.




lundi 23 septembre 2013

Arden, Frédéric Verger



Tu sais que les premières fois sont hasardeuses. Elles sont comme des trésors espérés et inattendus dont tu ignores encore s'ils sont faits d'or ou de pacotille. Quand tu le découvres, tu sens en Arden, le roman de Frederic Verger, un parfum d'audace et de fraîcheur. Tu plonges. Son étonnante virtuosité t'enchante. Tu te mets à le savourer. 

C'est une histoire de famille comme peu savent les raconter. Tout de suite, c'est un monde qui s'ouvre à toi, dans lequel tu déambules allègrement au gré  des lieux et des rencontres. Pour te guider, un hôte de choix : Alexandre de Rocoule, figure incontournable de l'hôtel Arden, séducteur incorrigible et auteur amateur d'opérettes.

Mais nous sommes en 1944 et la Marsovie frémit devant la menace fasciste.  Immanquablement, le domaine d'Arden devient un refuge. Mais pour quels rescapés ! Ils leur faut alors composer avec notre cher Alexandre et cela ne s'avèrera pas sans risque. C'est qu'il lui vient soudain l'idée folle de défier l'ombre et de jouer leur destin.

Tu reconnais qu'il faut un talent indéniable pour orchestrer cette étonnante aventure. Ne pas perdre le rythme, ne point trop s'éparpiller, relancer le mouvement jusqu'au point d'orgue final. Et tout se combine avec un humour irrésistible. Tu applaudis.

Arden, de Frédéric Verger, est publié chez Gallimard





vendredi 20 septembre 2013

Esprit d'hiver, Laure Kasischke



En ce matin de Noël 20-- qui ouvre Esprit d'hiver, de Laura Kasischke, ne t'attends pas à vivre des instants d'euphorie ou de quiétude. Bien au contraire, c'est le malaise qui s'annonce et insidieusement se diffuse. Il n'y a aucune raison de fuir. Car le talent de la romancière, tu en conviendras sûrement, est de t'installer de façon inconfortable dans cette histoire où tu ne peux te dérober. 

Donc, en ce jour de Noël 20--, un étrange pressentiment s'empare d'Holly. Il semble irrationnel, et pourtant il la poursuit sans relâche. C'est une peur latente, bien enfouie qui soudain s'éveille. Elle remonte à quelques années maintenant, quand le couple qu'elle forme avec Eric est parti adopter Tatiana en Russie. 

Aujourd'hui Tatiana a quinze ans et, seule face à sa mère, c'est l'incompréhensible affrontement. Tu sens pourtant que quelque chose cloche, mais tu es comme pris au piège par cette tension de plus en plus tenace.

Il te faudra attendre le dénouement final pour découvrir l'effroyable vérité et comprendre à quel tour de force littéraire tu as été convié.

Esprit d'hiver, de Laura Kasischke, est publié chez Bourgois.

mardi 17 septembre 2013

Le quatrième mur, Sorj Chalandon






Tu ne peux pas passer à côté du nouveau roman de Sorj Chalandon. Tu sais sa poésie et déjà tu entends sa fureur. Avec Le quatrième mur, pas de doute, il va t'emporter loin. Tu t'y engouffres. Tu n'imagines pas encore à quel point tu y es corps et âme.

Paris, terre d'accueil et de révolte. Georges y rencontre Samuel Akounis. Une flamme semblable les anime, leur amitié est fraternelle. Alors quand Sam tombe malade, Georges ne peut refuser l'héritage monstre de son ami : poursuivre son projet de mettre en scène Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth.

L'enjeu est noble, la tâche, elle, épineuse. Car les comédiens sont issus de communautés différentes. Aussi, pour ne pas se trahir, chacun y voit son Antigone et chacun essaie de s'oublier derrière le masque. Mais soudain, le ciel éclate et la guerre explose les murs de la tragédie. 

Tu voudrais crier, c'est un sanglot qui s'étrangle dans ta gorge. Tu es devenu Georges. Tu es face à un spectacle sublime et terrifiant qui t'enveloppe peu à peu. Tu entres dans la guerre et tu t'émeus, vide de tout artifice. Des images sont gravées, cela finit par t'envahir. Tu avances, sans retour ni reprise possibles. Comme tu jouerais ta vie.

Le quatrième mur, de Sorj Chalandon, est publié chez Grasset.

mercredi 11 septembre 2013

Pietra viva, Léonor de Recondo





Souviens-toi de Michelangelo. Tu as dû le rencontrer il y a quelques temps de cela, il partait alors pour Constantinople, délaissant le tombeau d'un pape pour une chimère ottomane*. Tu le retrouves aujourd'hui dans Pietra viva, de Léonor de Récondo, pour une aventure qui va se révéler tout aussi puissante et envoûtante.

C'est un temps où la renommée du sculpteur n'est plus à faire. Il taille dans le marbre comme dans la chair et son génie lui a attiré les faveurs du pape Jules II. Mais la mort d'Andrea, jeune moine dont il affectionnait l'extraordinaire beauté, vient mettre en péril sa quiétude romaine.

Carrare devient son refuge, et déjà, dans les carrières, ses doigts frétillent pour libérer les corps de leur prison de pierre. Rien ne pourrait le distraire de son ambition. C'était sans compter sur le petit Michele qui, bien décidé à apprivoiser le maître, va le mettre à l'épreuve des souvenirs.

Tu sens comment au fil des jours son regard change, comment peu à peu son coeur résonne. Et tu aimerais l'accompagner encore quand vient le temps des adieux et qu'il faut laisser derrière soi cette éblouissante cité.

Pietra Viva, De Léonor de Récondo, est publié chez Sabine Wespieser. 



*Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, de Mathias Enard, Actes sud.

lundi 9 septembre 2013

Daffodil Silver, Isabelle Monnin



Aujourd'hui, par l'entremise d'Isabelle Monnin, tu as rendez-vous avec Daffodil Silver. Ce nom à lui seul est déjà un roman. Tu ne le devines que trop bien, et il te tarde de faire plus ample connaissance. Installe-toi confortablement et surtout, oublie le temps. Car rien à présent ne pourra te détourner de l'histoire qu'elle va te raconter.

L'histoire de Daffodil Silver n'est pas à proprement parler son histoire. Elle porte l'ombre indélébile de sa tante Rosa, jeune fille solaire privée trop tôt de son éclat. Une mort pour une vie croirait-on, avant que Lilas n'ait le projet fou de retrouver la vie de sa soeur dans ses moindres secondes et lui construire le plus étonnant des destins.

C'est donc en compagnie de ce fantôme inépuisable que Daffodil grandit. Autour d'elle, on s'emploie à ne pas perdre le fil de cette incroyable entreprise. Mais faute de la capturer dans les seuls souvenirs, Rosa reste insaisissable. Tu crains alors qu'elle ne finisse par leur échapper.

Pendant les cinq jours que dure son récit, tu restes suspendu aux lèvres de Daffodil Silver, attentif à ce flot délicat en charge de te révéler les deuils incommensurables de cette maudite famille. Pourtant, tu ne lui prêtes pas la moindre amertume. Se délivrer de son héritage, là est son seul souci. Et ainsi pouvoir inventer sa vie.

Daffodil Silver, d'Isabelle Monnin, est publié chez JC Lattès.

mercredi 4 septembre 2013

Avoir un corps, Brigitte Giraud



Avoir un corps, sous la plume de Brigitte Giraud, c'est doux. C'est un monde que tu ne connais peut-être pas ou que tu as oublié. L'occasion de le (re)découvrir, elle te l'offre. Saisis-la.

Tu lis. Avoir un corps, c'est évident. Il est là, il est à nous, il nous possède. Impossible de l'oublier. On le met à l'épreuve, on s'acharne à le maîtriser. Mais parfois le corps trahit. Devenu notre ennemi, c'est une victoire qu'on accepte de lui accorder. Mais parfois le corps frissonne. C'est vivifiant, une autre forme d'abandon.

Tu comprends. Avoir un corps mais un corps de fille, c'est différent. C'est formaté. Tu conquiers bon gré mal gré ta féminité, tu deviens une femme. Tu rencontres le garçon. Ah qu'il est émouvant. Tu es amoureuse. Es-tu prête? Tu franchis les étapes que la vie te soumet, tu continues d'avancer.

Tu en as les larmes aux yeux. Avoir un corps de Brigitte Giraud, c'est tout simplement beau.

Avoir un corps, de Brigitte Giraud, est publié chez Stock.




lundi 2 septembre 2013

Kinderzimmer, Valentine Goby



Cette année encore, tu n'y échappes pas. La Seconde Guerre Mondiale est comme un héritage perpétuel qui donne à sa cruelle réalité une matière romanesque inépuisable. Parfois c'est vivifiant, parfois ça t'étouffe. Mais devant Kinderzimmer, de Valentine Goby, il y a une évidence que tu ne cherche pas à refuser. 

Tu es en avril 44. Tu es propulsé à Ravensbrück, un camp pour femmes où sévit une autre guerre. Leur guerre à elles. Contre la faim. Contre le froid. Contre la maladie. Contre la sélection. On s'organise comme on peut. On se vole autant qu'on s'entraide. Surtout, on ne se laisse pas abattre. Mais les corps sont parfois lâches, rien ne peut les faire taire. Ils réclament, se révoltent et se détraquent. C'est pour mieux pourrir.

Mila sait qu'elle n'en sortira pas vivante. Une telle horreur, on ne permettrait pas qu'elle s'ébruite. Pourtant la vie a ses raisons et son corps s'acharne à tenir. Puis il y a l'enfant, qui pousse dans son ventre aux contours encore flous. Elle a jugé bon de le cacher tant il semblait irréel. Quand il naît, quand la vie prend soudain le dessus, c'est une lueur d'espoir, une enjeu bien fragile qui lui dicte de ne pas abandonner.

Ce livre, il te prend aux tripes. Tu es subjugué par cette peinture des corps qui ne t'épargne rien. Et cette force dans l'écriture ! Ca te bouleverse. Tu n'en reviens pas.

Kinderzimmer, de Valentine Goby, est publié chez Actes sud.